"La possible légalisation du CBD fait déjà frémir le monde entrepreneurial"LES ÉCHOS, 25/03/2021

La légalisation du CBD semble se rapprocher encore. Un rapport de travail doit proposer sa commercialisation et sa production aux ministres concernés. Ce marché pourrait représenter un milliard d'euros par an de chiffre d'affaires. La filière française reste à construire.

La production et la commercialisation du cannabidiol (CBD), un produit non psychotrope issu du chanvre devraient être prochainement légalisées en France. Le cannabidiol est souvent confondu avec le Tétrahydrocannabinol (THC), substance aux effets psychotropes, classée comme stupéfiant, également issu d'une variété spécifique de chanvre, le cannabis, mais elle totalement interdite.

Le CBD n'est lui pas spécifiquement interdit en France, mais il n'est pas non plus autorisé... Cette brèche juridique a commencé à être exploitée par différents distributeurs dont Kanavape dès 2018. Cette entreprise commercialisait en France du CBD pour vapotage produit en République tchèque. Sommée par la justice française de suspendre ses ventes, Kanavape a porté l'affaire jusque devant la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) qui, le 19 novembre 2020, lui a rendu un avis favorable. « Depuis l'arrêt de la CJUE, il est toléré de commercialiser du CBD », explique Valérie Saintoyant, déléguée de la Mildeca. L'avis mentionne que le CBD n'est pas un stupéfiant et, puisqu'il est produit légalement dans d'autres pays membres de l'Union européenne, il peut être importé légalement en France.

Conséquence de cette décision, un groupe de travail piloté par la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) doit remettre un rapport «dans les prochaines semaines» aux ministres concernés afin de mettre le droit français en conformité avec l'arrêt européen. Ce qui devrait aboutir à une autorisation du CBD en France et mettre fin à une période de flou juridique. Contacté, Matignon confirme qu'«un nouvel arrêté devrait être pris avant la fin du premier semestre 2021» afin d'«apporter un cadre juridique protecteur pour le consommateur, sécurisant pour les acteurs économiques et étayant l'action des autorités de contrôle».

CBD illégal mais toléré

Cette légalisation du CBD est très attendue par les acteurs du secteur et des consommateurs de plus en plus nombreux dans l'Hexagone. Elle a même été anticipée puisqu'on recense déjà un peu plus de 400 boutiques, ou CBD-shops, en France. Sans compter les bureaux de tabac qui vendent ce cannabinoïde, principalement sous forme de cartouches pour le vapotage. le CBD aurait des vertus relaxantes et antidouleur.

Le marché français du CBD est estimé par l'UIVEC (Union des Industriels pour la Valorisation des Extraits de Chanvre) à près d'un milliard d'euros par an, en prenant en compte toute la filière, de la production à la vente. Au niveau mondial, Deloitte estime que le marché atteindra 17 milliards de dollars en 2026. Une chance pour la France, plus gros producteur de chanvre en Europe avec 17.000 hectares d'exploitation, qui pourrait profiter à plein du « cannabusiness ». Agriculteurs et entrepreneurs sont dans les starting-blocks.

Si la vente de CBD est tolérée, la production en France est toujours interdite. La faute aux fleurs de chanvre qui contiennent naturellement du THC et dont la manipulation est interdite. Ce qui donne lieu à une situation étrange. Le chanvre, cultivé en France, doit être exporté dans un autre pays pour y être transformé en tisane, huile ou e-liquide à vapoter, avant d'être importé en France pour y être vendu. « Ce manège nous a coûté 50.000 euros de surcoût d'extraction sur une récolte d'un seul hectare. Alors que le matériel d'extraction ne nous coûterait que 275.000 euros », soupire l'entrepreneur Raphaël de Pablo. Sa société, la Ferme Médicale, à été créée fin 2019 à Bruges en Gironde. Elle produit du chanvre et commercialise des huiles alimentaires au CBD.

Autoriser la transformation du chanvre en CBD

Le décret qui devrait faire suite aux travaux de la Mildeca devrait mettre fin à ce paradoxe. « Une de nos préoccupations est que les entreprises françaises puissent produire dans les mêmes conditions que nos voisins. Le futur arrêté précisera ce qui peut être utilisé, et comment, explique Valérie Saintoyant. Il faudra notamment préciser le statut de la fleur de chanvre, puisque la CJUE dit que la plante entière doit pouvoir être exploitée. » Le groupe de travail planche également sur un éventuel rehaussement du taux de THC autorisé dans les produits finis de CBD.

La déléguée de la Mildeca prévient cependant que l'arrêté insistera sur la nécessité d'éviter toute « fausse allégation thérapeutique » ou incitation à la consommation de stupéfiants. Il sera donc acté l'interdiction d'utiliser des logos ou noms faisant allusion au cannabis récréatif, et de présenter les produits à base de CBD comme un possible traitement à certains maux.

D'ici là, comme le souligne Xavier Pizarro, avocat de Sébastien Béguerie dans l'affaire « Kanavape », les commerçants doivent rester prudents. « La Mildeca a beau dire que les vendeurs de CBD ne sont plus poursuivis, un de mes clients [dans une affaire autre que Kanavape, NDLR] n'a été libéré que le 11 mars dernier après 2 mois et demi de détention provisoire pour avoir commercialisé du CBD ! La chaîne de réponse pénale, ne l'oublions pas, est humaine et autonome. » Aussi, tant que ce décret n'est pas paru au Journal Officiel, il déconseille aux entrepreneurs de se précipiter... Ce marché est textuellement encore illégal.

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